Mittwoch, 10. August 2016

26/06/1862 (Vater)

Victoria le 26 Juin 1862

Mon cher Père

Enfin je puis répondre à ta lettre du 10 Janvier. J’ai passé du mauvais temps & payé cher ma bienvenue au Brésil ; j’ai même failli trépasser ; c’est comme si j’ai avais en un présentiment en mettant le pied sur le sol du Brésil, que du reste je chéris comme une seconde patrie. Le pis est que ma maladie m’a condamnée à un sejour à Bahia de près de trois mois & à une dépense de pris de trois mille francs. Ma pauvre femme s’est donc vu de nouveau forcée à repondre le gouvernement de ma plantation, après deux mois de repos. Je ne prétends pas te faire l’histoire de ma maladie, mais j’eu dirai quelques mots comme preuve qu’avec la meilleure volonté de bien faire, on fait quelquefois mal.

En Europa on a les jouissances du cœur & de l’esprit : ici on n’a que celles du corps, dont une des premières est une bonne table, aux plaisirs de laquelle on s’adonne d’autant plus qu’il faut, en effet, soigner, nourrir & stimuler son corps beaucoup plus qu’en Europe. Or, à mon retour ici, habitué au régime sobre de l’Europe, ayant étudié quelques œuvres homéopathiques, qui prêchent la tempérence & que je trouvais parfaitement rationels, trouvant qu’il était ignoble de dévorer journellement des masses de grosses viandes, de s’ingurgiter des quantités des gros vins de Porto, de Tenerifa ; le tout accompagné de bon nombre de tasses de café, dont on ferait tout une cafetière pleine de chacune en Europe, & de petits verres de cognac & de rum : j’ai complètement modifié mon système de vie ; c. a. d. j’ai continué mon hygiène d’Europe, subsituant le vin de Bordeaux avec de l’eau aux vins captieux du Portugal, combinant la nourriture végétale avec l’animale, congédiant les liqueurs fortes ect. Sans croire aller trop loin dans ces réformes de tempérance, je l'ai portant été. Les médecins me l’ont dit & l’expérience l’a montré.

J’ai attrapé la maladie qu’on appelle ici Anémie générale endémique, qui consiste en une tendence de tout l’organisme à se liquéfier, à se changer en eau. Le sang se métamorphose en eau, la chair en lymphe, vers la fin même les os deviennent spongieux & imbibés de liquide ; une fièvre adinamique accompagne la maladie ; l’épiderme devient d’une pâleur livide ; le cœur fait des efforts désespérés pour mettre en circulation le sang dégénéré, auquel les poumons ne communiquent plus d’oxigène ; les extrémités enflent d’abord, puis tout le corps & l’hydropisie termine la scène. Heureusement je n’ai pas été jusqu’à la fin, grâce à mes deux médecins, un Anglais & un Allemand, qui m’ont soigné avec la sollicitude de vrais amis, & non comme des mercenaires. Au reste il est très rare d’observer cette maladie chez des individus de ma cathégorie ; elle ne se rencontre guère que chez esclaves maltraités par leurs maîtres & chez les colons venus d’Europe & sujets à toutes les misères auxquelles les spéculateurs les abandonnent honteusement. Le seul prophylactique est une diète nourrissante, stimulante, échaufante même ; les remèdes sont les aromatiques, les acides & surtout le fer. – Grâce à Dieu me voici rétabli, mais encore sujet à beaucoup de précautions ; la mémoire & l’intelligence ont en plus de peine à se rétablir que les forces physiques. J’ai un appétit de loup, mais aussitôt le soleil couché, je grelotte de froid. Voici pour ma maladie – Maintenant aux affaires.

Ma récolte de café a été gravement compromise par l’apparition d’un insecte qui, après avoir dévasté les plantations de café à Rio, est venu dans nos parages, où il a mis les cafiers dans un état qui fait pitié à voir. C’est avoir du malheur ! sans cet insecte je payais cette année-ci les trois quarts de tout ce que je dois. Heureusement que la récolte était tellement abondante, que, même après le sacrifice de plus de la moitié, faite au dit insecte, le résultat de l’année sera superbe (vu les mauvaises circonstances) & ne fournira guère moins de 20 Contos de Reis bénéfice net. Pour plus de trois quarts de cette somme, sans compter les dépenses annuelles sont déjà faits, & je crois bien pouvoir évaluer ce qui est encore à cueillir à 5 Contos. – Il est vrai que les prix du café sont magnifiques : 84 francs le quintal de 50 Kilos. Aussi ma femme a tellement pressé la récolte & les remises à Mrs. Jezler à Bahia, afin de profiter des beaux prix, qu’elle en est tombée malade & que, à mon arrivée ici, il ma imédiatement fallu changer mon rôle de malade contre celui garde-malade & médecin ; d’autant plus que j’ai un grand nombre de nègres malades & la petite vérole parmi les négrillons. – Pour ce qui est de mon compte courant avec toi, dont tu as eu la bonté de m’envoyer un aperçu, il va sans dire que je ne tirerai jamais des sommes pour lesquelles tu ne m’as pas crédité ; (..). Tout ce que je te prie c’est de payer de 6 en 6 mois, à Mr. Barrelet, le montant de la pension de mes enfans, qui est de 750 f. comme tu sais ; au cas que mon avoir soit insuffisant pour cela tu payeras ce qu’il y aura, & si cet avoir venait à se réduire à Zéro, comme tu dis que cela pourrait éventuellement arriver : alors la seule faveur que je réclame est d’en être instruit le plus tôt possible, afin de pouvoir aviser. Quant aux autres dépenses extraordinaires de mes enfans je les règle depuis ici avec Mr. Barrelet, trouvant très superflu d’avoir des fonds de réserve (quelques mesquins qu’ils puissent être chômant en Europe, tandis qu’ils peuvent me rapporter ici 10 - 12%. – Voilà pour les affaires.

C’est avec beaucoup de peine que j’ai appris la mort de mon oncle Sinner, de la cousine de Seedorf & de ton ancien cammarade Mr. D’Erlach, ainsi que de la grammère Herrenschwand. Je te prie de bien vouloir présenter mes respects â tous les Parents & amis de la famille, qui se souviennent encore de moi. Je ne suis ancunément étonné de ce que tu me dis de Mr. May de Hüningue. – Dans 4 jours ce sera l’aniversaire du jour où je t’ai revu après une séparation de 15 ans ; en même temps ton jour de naissance pour lequel je t’envoie mes vœux affectueux & sincères, espérant le fêter encore une en plusieurs fois dans ta compagnie.

Mes enfans m’écrivent chaque mois depuis Colombier & paraissent excessivement contents. Mr. Barrelet aussi ne fait que louer leurs procédés jusqu’ici ; j’ai ici un moutard (Alberto) qui aurait grand besoin d’aller rejoindre sa sœur & ses frères en Suisse ; mais, pour l’envoyer tout seul c’est trop risqué & pour l’accompagner moi-même, c’est trop couteux. En attendant il demande tous les jours à partir, pour aller rejoindre ses compagnons en Europe.

Nous avons ici des pluies diluviennes qui, après trois ans de sècheresse causent beaucoup de maladies ; heureusement que le maudit insecte du café s’en trouve aussi mal que nous autres & dépérit peu à peu ; le froid aussi est excessif : avant-hier à 5 ½ heures du matin 11 ¾o R. nous autres nos gêlons positivement par un froid semblable.

Si tu écris à Albert dis lui que j’ai reçu sa lettre, qui s’est croisé avec la mienne & que je lui répondrai prochainement.

Enfin, je te remercie bien cordialement, ainsi que ma mère & mes sœurs pour les cadeaux de nouvel-an, que vous avez en la bonté d’envoyer à mes enfans. Prochainement tu recevras le sac de café promis, afin d’avoir un échantillon de mes produits, que j’ose citer, sans fatuité, comme les premiers en qualité, de la place de Bahia, & qui ne le cèdent en rien à ceux de Rio.

Je termine en te saluant bien tendrement, ainsi que ma mère & mes sœurs ; mes complimens affectueux à la tante Elise & ses enfans ; oncles Fritz & Benoît ; tante Julie ; frère Charles & sa progéniture.


                                                                               Ton fils obeissant
                                                                                                                              F. Steiger




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