[A. S. – 1857 Nach dem Kauf der Pflanzung]
[…] temps, que je ne T’ai écrit,
malgré Tes deux lettres si affectueuses, malgré mon devoir comme fils de Te
tenir au courant de ce qui me touche & de Te donner de temps en temps mi
signe de vie, d’estime & de respet, malgré enfin toutes les règles de civilité
& de procédés épistolaires. De sorte qu’il pourrait arriver, que ma lettre
fût /mal interprété (…) affection/ y sont pour beaucoup & que c’est cette
dernière presque exclusivement qui l’a dictée. – Hélas je commence à me sentir
presque étranger à ma famille ce n’est qu’en évoquant les réminiscences de mon
enfance, que je puis encore me figurer Ton extérieur, Ta voix ainsi que celles
de ma Mère, de mon Frère & de mes Sœurs ; cette pensée m’émeut & m’humecte
les paupières, car quoique j’ai toujours apprécié & chéri la vie de
famille, ce n’est que maintenant après 9 ans de séparation de tout ce que j’ai
de plus cher au monde que je puis en apprécier la juste valeur & que la
séparation des Miens me met dans un vîde complet dans ce monde, (…) dans lequel
je suis abîmé je travaillerai je tâcherai : Dieu me fera réussir ou
échouer ; je suis prêt à subir ma destinée. (…)
Je crois oser affirmer, que, si d’un
côté je n’ai point à me plaindre de mon sort d’un autre côté il m’est permis de
ne pas le trouver des plus bénignes ; il est si triste d’être seul,
quoique entouré d’individus ; être, à mon âge, privé de tout appui, de
tout conseil rationel & desinteressé de tout encouragement & stimulant
moral ; soutenir une lutte continuelle à l’extérieur à la plantation &
contre mes propres penchans ; puiser toute la force, toute la résignation,
toutes les connaissances nécessaires dans sa propre énergie & moral, sans
jamais rencontrer une main secourable pour soutien quand on fléchit & qu’on
bronche – est une tâche qui n’est pas audessus des forces humaines, mais est
une tâche rude & fatigante, qui exige une force de volonté, une abnégation
de soi-même & une patience que je ne possède pas encore on degré voulu. Peut-être
le bon exemple & le sang que je Te dois me perfectionneront – ils au jour.
Je Te demande pardon si je ne
réponds pas d’une manière précise & circonstanciée à Tes lettres ; je
crains devenir trop prolixe & (…) à Mr. May, qui à payer 18 francs de port
pour ma dernière lettre ; (…) ces deux dernières années je lui ai écrit 10
lettres dont une de 22 pages, d’autres à 18, 14 & le reste à l’avenant.
Tu fais l’observation que je ne sais
pas encore décidé quel culture serait ici la plus avantageuse du café, du cacao
ou du sucre, Tu remarques, & avec raison que je vascille dans mon oppinion,
penchant tantôt d’un côté tantôt d’un autre. Or comme il me tient à cœur de Te montrer
que, malgré ma légerté habituelle, je n’ai pourtant pas tout à fait perdu mon
temps, & que outre cela l’exposé que je vais Te faire Te donnera en même
temps un juste apperçu de l’état dans lequel j’ai mis la plantation Victoria
& dans lequel je comte la mettre si j’y reste, je m’entendrai peut être un
peu trop sur cette matière. – Dabord, point de départ ; l’agriculture
brésilienne n’est que de l’empyric ; le cultivateur rationel tâtonne &
essaie ; le cultivateur irationel (cad. Le Bresilien) maintien son status
quo. Ni le Brésilien, ni l'Éuropéen font des expériences pour tirer leur conséquences & rechercher les causes & les effets pour ensuite, au moyen de la logique réunir
le tout en un système : le premier ne le fait pas par ignorance &
indolence, le second parce qu’il est trop pressé de faire valoir ses capitaux
afin d’arranger son magot & se retirer dans sa patrie. La théorie étant
fille de la pratique & celle-ci étant une mère stérile dans ce magnifique
pays le cultivateur ne peut avoir recours, comme en Europe, au savoir da'autrai par le moyen de livres, fréquentation d’écoles agricoles ect. Cèci posé j’entre en
matière.
Si j’ai énoncé l’oppinion que la
culture de la canne à sucre serait la plus avantageuse, thèse générale, je
crois avoir raison, car il n’est aucun doute que nos latitudes de 10 à 20 degrés
sont les plus propres pour sa prosperité, à telle enseigne que, pour favoriser
cette culture les établissemens sucrier de la province de Bahia &
avoisinantes jouissent de privilèges analogues à ceux des anciennes seigneuries
féodales, auxquels privilèges les autres établissemens, quelques considérables qu’ils
soient, n’ont aucun droit. Cépendant les sucres ayant depuis plus de trois ans
souffert une baisse constante & les cafés ayant haussé de prix
considérablement il en résulte que cet avantage de prix non seulement compence
mais exède même la valeur qui pourrait être produite par le desavantage du
clima pour le café. La proportion des prix étant autrefois du sucre au café
comme 2 ½ : 3 s’est changé maintenant en 2 : 4. Outre cela la
plantation Victoria étant établie sur de vastes bases, avec profusion de tout
le coûteux matérial necessaire à la préparation du café, les esclaves étant
habitués & experts dans ce service & un changement complet d’une
exploitation de café en une sucrière exigeant des frais considerables, je
serais aujourd’hui le premier à m’opposer & à desapprouver un semblable
changement. Le café & le tabac (qui n’est guère avantageux que pour le
petit cultivateur) sont aujourd’hui les denrées d’exportation de nos ports les
plus lucratifs & plus recherchés. Le Cacao, pour lequel je me sentais
autrefois une aversion assez puérile du reste, parce que jusqu’àprésent il n’a été
l’objet des soins que des plus pauvres cultivateurs, & que je serai
peutêtre le premier qui le cultivera sur une grande échelle, n’est pas ma
plante favorite, je la considère comme un mal nécessaire pour le planteur de
café, mais comme j’aime au bien faire ou ne rien faire, cette fève a été ces
derniers temps l’objet de ma sollicitude toute particulière, de sorte que grâce
à d’inombrables essais, à des soins & des observations minutieuses, je suis
parvenu en perfectioner la qualité au point à en obtenir constantement 20 – 25%
plus que tous les autres cacaos sur la place de Bahia & notre correspondent
me promet sous peu des prix encore plus avantageux au cas que je continue à m’appliquer
au perfectionement de cette fève, ce que je compte bien faire & au cas que
j’expédie des quantités plus considerables, ce qui pourre donner une impulsion
favorable au négoce de cacao, assez négligé & insignifiant jusquaprésent.
Moyenant le système que je me propose de suivre à légard de la culture
simultanée du café & du cacao, système, qui a été honoré du suffrage
complet de Mr. May, les récoltes de cacao à Victoria vont malheureusement aller
en augmentant jusqu’à linfini ; je dis malheureusement parce que, mes
forces étant limitées & ne pouvant être augmentées d’aucune façon, il en
résulte que le développement de la culture du cacao se fera aux dépens de celle
du café, de sorte que, la valeur du café étant àpeuprès du double de celle du
cacao, il résultera nécessairement une diminution des revenus de la plantation.
Mais comme entre deux maux il faut toujours choisir le moindre je me resigne de
bonne grace à planter du cacao, en procédant de la manière suivante :
Le cafier, qui, dans les provinces
de Rio Janeiro, S. Paulo, Rio grande, rest en plein rapport pendant 20 – 25 ans
ne vit chez nous guère plus de la moitié & terme moyen on ne peut compter
sur son plein rapport que pendant 6 ans, savoir de sa 3ème année
jusqu’à sa 8ème. La dixième, rarement sa douzième année révolue il
sèche & dépérit & ce qui était une caféière devient ce que nous
appelons ici une Capoeira c. a. d. une bruière inextricable formée par d’inombrables
plantes parasites, arbustes, chardons ect, dont les semences emportées par le
vent & les oiseaux dans les cafeières voisines y causent du préjdice en propagent
leur espèce jusqu’à menacer les cafiers ; - qui pululent de toute sorte de
vermine, d’imondices & d’animaux plus ou moins dangereux ou pernicieux,
dont le pire est la fourmi ce fléau du cultivateur brésilien, qui ravage des
plantations entières, ne respectant aucune plante, excepté la canne à sucre,
qui habite des souterrains & des édifises de dimensions monstrueuses &
auxquelles il faut, bon gré mal gré céder la place qu’elles se sont appropriée,
vu l’impossibilité de les extirper systematiquement dans leurs repaires situés
quelquefois à 25 pieds sous terre sur une étendu de plusieurs 100 pieds en long
& en large. L’existence de ces Capoeiras, à ce qu’il est aisé de voir, doit
donc être évitée à tout prix sur tout établissement, qui n’est pas sucrier
& pour cette fin je ne connais que deux moyens : changer la cafèiére
dépérissante ou en pâturage ou en cacaoière ; le premier moyen n’est
efficacement applicable que dans les contrées du centre où l’élévation de bétail
& de chevaux est très-productive, tandis que dans nos parages du litoral
ils ne prospèrent aucunement ; nous sommes donc obligé de demander son
ombre vénéneuse & ses fortes racines au cacaoier pour nous proteger contre
l’invasion des fourmis, serpents, mauvaises herbes & le reste. – Le cacaoier
nécessitant 5 – 6 ans pour compléter sa crue & son dévelopement il sera
donc avantageux de le planter dans la caféière lorsqu’elle est dans toute la
vigueur de sa végétation c. a. d. quand elle aura de 5 – 7 ans, parce que le
cacao grandissant à l’ombre du café (condition essentielle pour sa bonne venue
est un frais & épais ombrage) sans lui causer le moindre préjudice les
premières années, se développe, s’elève & entre en rapport au fur & à
mesure que le café suit la route opposée c. a. d. qu’il dépérit.
De cette manière quand le cacao a
atteint sa cinquième année le café est tout à fait mort par suite de
décrépitude & celui qui ne le serait pas pour ce motif périrait
imédiadement après s’être trouvé sous l’ombre du cacao, ce qui n'est pas très-reconnaissant de celuici qui a été élevé à l'ombre du café. Ainsi sur les débris d’une
plantation débile s’en élève une autre fraîche & vigoureuse, tandis que le
planteur n’a d’autre travail que de semer les fèves de cacao entre les cafiers,
les frais de sarclage & d’entretien de la plantation étant les mêmes,
tandis que s’il attendait l’extinction complète de la végétation du café pour
ensuite semer son cacao il serait obligé de sarcler & d’entretenir pendant
4 ans le terrain jadis caféière sans aucun profit & de planter des
cotoniers, du manioc ou du Palmachristi autoye des jeunes cacaoiers pour les
ombrager, ce qui ne laisse pas que d’absorber une bonne partie des sucs du
terrain, qui étant plus ou moins découvert conserve toujours une certaine tendence
à se couvrir de Capoeira.
Le cacaoier dure jusqu’à un siècle
& peut être davantage & quoiqu’il rapporte le plus de sa 5 – 15ème
année il ne discontinue jamais d’être plus ou moins chargé de fruits. Par cette
combinaison je suis arrivé au point de conserver continuellement en culture le
terrain, qui à été conquis sur la forêt vierge la cognée à la main, sans imiter
l’usage brésilien de laisser en friche le terrain usé dont les maudites
Capoeiras fout l’attribut infaillible de sa plantation. Ainsi en abattant tous
les deux ans une portion de forêt d’environ 80 000 mètres carrés, qui est
dabord plantée de café & 5 ans après en cacao, j’obtiendrai peu à peu l’état
de cafiers & cacaoiers demontré dans le tableau si joint. Par ce tableau il
est facile de voir que j’aurai toujours 4 Roças (le terme roça signifie une
plantation de végétaux quelquonques, equivalant à la parole champ en Europe :
champ de froment, champ d’avoine, champ de colza, champ de pommes de terre –
roça de café, roça de canne, roça de tabac ect.) de café en produit du contenu
de 12 à 20 000 pieds de café. A mesure que les anciennes meurent les
nouvelles entrant en rapport, selon une disposition analogue à l’échiquier
tactique. Cependant comme le nombre des cafiers que je dois soigner reste à peu
près stable, tandis que celui des cacaoiers va en progression continuelle,
& comme je ne puis augmenter mes forces d’aucune manière, il pourrait
paraître que ce comte soit basé sur des principes fautifs ; c’est pourquoi
il est indispensable, que je fournisse les renseignemens suivans : Une
Roça de cacao de sa 14ème année n’exige plus aucun
traîtement, les ramifications des arbres s’entrelacent de telle sorte, qu’elles
ne laissent aucun espace pour la pénétration des rayons du soleil, de sorte qu’il
n’y a plus de sarclage & autres soins nécessaires, la propriété du cacao de
ne laisser croître aucun végétal dans son voisinage.
De sorte que si mon système était
suivi par mes successeurs, les forêts vierges de Victoria pourraient être
changées en bosquets de cacao, dans le cours de siècles ; d’autant plus
que la préparation du cacao n’exige ni machines, ni main d’œuvre, ni temps, qui
vaillent la peine d’être mis en consideration. – Ce ne sera donc que dans un
temps encore fort éloigné que la culture du Cacao préjudiquera celle du Café
sur la plantation Victoria, un temps de 4 lustres, au-delà daquel il n’est
guère permis d’étendre ses calculs, dans un pays au berceau comme l’est le
Brésil : dans un pays sujet aux commotions politiques & aux
réformations sociales plus qu’aucun autre. D’abord l’émancipation des nègres,
qui tôt ou tard doit avoir lieu, & qui plongera le Brésil dans la plus
affreuse misère, car le brésilien ne travaillera jamais de ses propres mains,
& quant à l’emigration d’ouvriers européens il ne faut plus y songer après
les inombrables essais qui ont été faits & qui ont tous complétement échoué
contre la malveillance, la stupidité & la jalousie des gens mêmes, qui
devait faire tout leur possible pour la prosperité de ces colonies. Un autre
danger qui ménace le Brésil se trouve dans l’esprit toujours mécontent,
toujours révolutionaire & avide de changemens & de bouleversemens de ses
habitans. Ils veulent abseulument reverser la monarchie & etablir à sa
place une confédération republicaine, composée de 30 républiques, qui sont
actuellement les 20 provinces de l’empire du Brésil, à l’instar des républiques
de l’Amerique centrale & de celles du Rio da Plata, ou si ou aime mieux à
l’instar de notre Suisse de glorieuse mémoire & de piteuse apparence
actuelle. Les révolutions ici ne se font pas aisement, quoique le pouvoir
exécutif soit tout à fait impuissant, mais le Brésilien est trop indolent &
commode pour s’émouvoir facilement. Au reste le gouvernement républicain ne
sera ni meilleur ni pire que le monarchique. Ses fonctions se bornent
uniquement à percevoir des droits monstrueux sur l’importation, sans pour cela
créer des manufactures des fabriques, de l’industrie dans le pays ; nos
sucres vont brutes en Europe pour en revenir raffinés, de même les cuires &
tout autre objet ; les mines d’or & de diamants sont exploitées par
des compagnies anglaises ; l’argent, le fer, le cuivre restent enfouis
sous terre ; l’Européen, qui moyenant ses connaissances, son activité
& ses capitaux pourrait donner une impulsion salutaire à l’industrie &
à l’agriculture est persécuté, vexé & entrâvé de toute manière. De petits
magistrats pululent dans toutes les villes, avec des appointemens presque nul,
avec moins moins de probité, de conscience & d’instruction encore, ne se
trouvant sous aucun contrôle du gouvernement central, excercent système de
pillage & de tryranie révoltans, à moins qu’ils n’aillent se frotter contre
quelque riche brésilien, (ce dont en général ils se gardent lieu) qui règle
promptement leur compte au moyen d’un coup de fusil ou de poignard. – Pas question
de routes de communication, de ponts, de canaux, d’édifices ou de fonds
publics, de police ect.
Tous les revenus (la douane de Bahia
donne terme moyen 500 millions de francs par an, vont à Rio Janeiro & y
restent, sauf les appointemens exigus que reçoivent les vampirs que le
gouvernement de Rio lâche sur les provinces, sous titre de magistrats. Qu’un
pareil état des choses fasse désirer un changement de gouvernement est naturel,
cependant ce n’est pas ce qui, inspire nos révolutionaires. Tout comme chez
nous ; chacun convoite un emploi lucratif & n’espère l’obtenir que par
un bouleversement général, qui lui permettra de remplir ses poches sous prétexte
de faire la félicité du pays. Et les rares personnes moins interessées &
plus honêtes s’en prennent injustement au gouvernement tandis qu’ils ne derraient s'en prendre qu'à la corruption à la paresse & à l'ignorence de les compatriotes, ce qui les amènerait à la conviction que des institutions libérales
sont aussi déplacées au Brésil que dans une étable de pourceaux, & que la
constitution qu’il lui faudrait est celle des Kosaques, du Knout & de la
Sibérie, pour enseigner à ses habitans à travailler d’abord, à s’instruire
ensuite, & enfin seulement à s'occuper des interrêts de leur patrie & à commencer
sa régénération. (…)
Keine Kommentare:
Kommentar veröffentlichen