Victoria le 2 Avril 1860.
(A. S. - Erzherzog Max Besuch)
Mon bienaimé Père
Ma dernière lettre datée de Bahia 12 Avril
1859, dans laquelle j’anonçais la possibilité de la vente de ma Plantation,
étant restée sans réponse jusqu’aujourd’hui, je la confirme par la présente. –
La vente n’a pas pu s’effectuer, faute de numéraire sur la place de Bahia qui,
depuis le grand choc de 1858 se trouve dans un état misérable, malgré toutes
les mesures désespérées du gouvernement tendant, à ramener un peu de crédit
& de confiance. – Je me ressens aussi d’une manière bien sensible de cet
état des choses, (…) à la Banque du Brésil.
Enfin, j’ai repris ma besogne, je travaille de
mon mieux, & cela va tant bien que mal. Cela commençait même à aller
très-bien, vu que mes cafiers étaient chargés à n’en plus pouvoir, me fesant
espérer une récolte de 4 à 5000 Arobas (un Aroba se vend de 5 à 7 Milreis ou
environ 17 francs) à telle enseigne que je refusai une proposition de 120
Contos d’un acheteur venu exprès de Pernambuco, où il avait lu l’anonce que
j’avais fait mettre dans les journaux les plus répandus de tout le Brésil.
Lorsque voilà une sécheresse, comme ou n’en pas vû depuis mémoire d’homme, qui
vient anéantir mes espérances : Toute végétation est paralysées, les
arbres & les fruits grillés sur pied, la terre crevassée comme par des
éruptions vulcaniques, & les rivières qui portaient des embarcations calant
6 – 8 pieds, sont devenues des gorges arides, dont le fond pierreux réflète les
rayons ardents du soleil. Il faut voir cette désolation pour la
comprendre : & si la pluie n’arrive bientôt ce sera une calamité dont
la portée est incalculable. – Et encore ne sais-je pas en droit de ma plaindre
quand je lis les rapports journaliers qui arrivent des provinces septentrionales
& centrales. Ici au moins j’ai à manger & à boire surtout, avec
mes esclaves & mon bétail, tandis que là, quelqu’incroyable que cela
paraisse, il meurt des gens en masse, faute d’eau ; sans parler du bétail
qui, poussé par l’instinct de la conservation, va crever dans les flaques d’eau
dans lesquelles les gens altérés vont puiser ensuite une eau putride qui, au
lieu d’etancher leur soif leur communique quelque maladie typhoide. Enfin je
tâche de me résigner & de dévorer mon désespoir, en me gorgeant de
consolations plus ou moins phylosofiques.
J’ai été arraché de ces préoccupations
douloureuses par une visite aussi inattendue qu’agréable, quoique quelque peu
dispendieuse : Son Altesse Impériale l’Archiduc Maximilien d’Autriche,
autrefois Viceroi de la Lombardie, est venu passer une quinzaine de jours chez
moi. Nous avons couru ensemble les forêts vierges, les grandes cascades, avons
poussé jusqu’au camp des sauvages, avons chassé, pêché, botanisé ect ; le
tout en manches de chemises, crotté, les vêtemens souvent en lambeaux, comme de
véritables collégiens fesant l’école buissonnière. Il y avait des jours de
bombance pendant lesquels je régalais mon prince avec du Champagne, des huitres
& des pâtés conduits à grand frais jusque dans des parages inconnus jusqu’à
ce jour ; d’autres jouis nos repas se composaient d’entousiasme &
d’admiration assaisonés de beaucoup de gaîté ; & nous nous endormions,
du someil du juste, au bas de quelque grand arbre. – Pauvre jeune homme :
si aimable, si peu difficile, si noble, non seulement de naissance mais de
sentimens & de principes qui voit sa carrière obstruée par les résultats
d’une guerre malheureuse, &, à ce qu’on dit, est même en disgrâce auprès de
son frère l’Empereur. – Que de fois ne ma-t-il dit, quand nous soupions d’un
morceau de lune accompagné d’une douzaine d’étoiles, que, s’il nétait archiduc
il voudrait être planteur brésilien. J’avais beau lui montrer le revers de
médaille en énumérant toutes les misères & les angoisses par lesquelles
nous autres planteurs passent ; il n’en croyait rien parce qu’il se
trouvait sur un point de vue duquel l’horizont lui apparaît tout entre qu’à
moi, de sorte que nous ne tombions jamais d’accord sous ce point de vue. Le
jour de son départ Son Altesse m’offrit un splendide dîner d’adieu à bord de la
frégate de son pavillon, mouillée en rade d’Ilhéos.
Ce fut là que j’entendis depuis plus de vingt
ans, pour la première fois, l’hymne autrichien éxécuté par une de ces musiques
militaires bohêmes de 50 hommes, qui n’ont pas de rivale dans l’univers entier.
J’étais profondément ému. Après l’hymne autrichien vint l’hymne national du
Brésil, en l’honneur de mon beau-père, qui avait été nommé par son gouvernement
pour accompagner & assister le prince en toute matière qui touche l’hospitalité
du pays. – Au moment de nous dire adieu Son altesse m’a donné, en souvenir des
jours heureux passés ensemble, une bague en diamants avec son chiffre (de la
valeur de 4 – 5.000 francs) J’avais en la chance de pouvoir lui offrir un grand
nombre de curiosités de toute espèce ; animaux, plantes, produits
industriels des sauvages ect. ect.
L’Archiduc s’est enquis de Ton adresse, disant
qu’il voulait Te faire visite & porter de mes nouvelles à son premier
voyage en Bohême. Il est fort possible qu’il oublie cette promesse & passe
en Bohême sans aller Te voir : toutefois j’ai voulu Te communiquer son
dessin.
Un autre événement dont j’ai à Te rendre part,
c’est la naissance de mon sixième enfant, de sexe féminin, né le 23 Juin &
baptisée comme celle qui est morte (dont je T’ai fait part dans ma lettre plus
haut mentionée) du nom de Libuza, à la grande satisfaction & stupéfation de
l’Archiduc Maximilien, qui ne s’attendait pas à rencontrer un nom aussi
essentiellement autrichien au milieu des forêts vierges du Brésil. – Ma sœur
Elise a bien voulu servir de marraine (par procuration) au dit marmot. Aussitôt que la chose sera fesable je T’en
expédierai l’extrait baptistaire, le baptême n’ayant en lieu que le 7 Février,
& ici la marche de toute formalité est d’une lenteur désesperante.
En Novembre j’ai failli souffrir un accident
capable de me rendre aveugle. Etant dans mon laboratoire occupé à préparer
certaine préparation pharmaceutique, un violant coup de vent ferma la fenêtre
avec un fracas dont le contre coup
renversa & brisa la fiole dans laquelle je travaillais, de sorte qu’une
partie du liquide corosif qui s’y trouvait m’éclata en plein visage & dans
les yeux. Heureusement que les antidotes étaient sous ma main, de sorte que
j’en fus quitte pour huit jours de cécité & un mois de soins. Toutefois
j’ai en une peur panique, assez naturelle dans un pays où chacun en est séduit
à son propre savoir faire. – J’ai aussi en le malheur de perdre cinq esclaves
dans le cours de l’an passé, entre autres ma meilleure négresse, de sorte que,
(…), mon personnel esclave se réduit au chiffre de 103, qui est juste celui que
j’ai acheté de Mr. May, il y a trois ans. (…)
(…) trois enfans aînés en Europe, où Mr. P.
Barrelet (neveu de Mr. Diacon) s’est offert gratuitement (à Colombier près
Neuchâtel) de les recevoir & d’en soigner l’éducation. Maintenant la partie
est remise à des temps plus éloignés, & en attendant ce sont ces trois
enfans qui en souffrent la déception la plus sensible, ne voulant pas parler de
la tristesse que moi j’éprouve en voyant reculer (..) le jour heureux où
je pourrai voir & embrasser mon Père & ma Mère chéries ; car en
devenant bon père je n’ai pas cessé d’être bon fils ; bien au contraire (…)
Bildunterschrift hinzufügen |
Keine Kommentare:
Kommentar veröffentlichen